[Intimement confinés #9] "Il était une fois...". Aurore Juillard

Savoir lui dire, le podcast - Un podcast de Emilie Soulez

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 23 avril 2020. Texte écrit et lu par Aurore Juillard. Ce soir, je viens te raconter une histoire. Il était une fois, une planète qui allait à 1000 à l’heure, une planète sur laquelle les habitants avaient appris à vivre ensemble, se divertir en chantant, s’évader en lisant… Une planète sur laquelle les habitants avaient appris à domestiquer les animaux, à construire des moteurs, à conduire des voitures, et même à voler. Sur cette planète, rien n’était impossible : tu pouvais décider de quitter Paris un soir et être à New York le lendemain, tu pouvais traverser les mers, et les océans, un beau jour, cette planète ralentit.  Le mouvement perpétuel dans lequel elle était lancée s’arrêta et progressivement on vit des cerfs se promener en ville, on vit des rorqual s’aventurer sur les côtes, chacun entendait, à sa fenêtre, les oiseaux qui l’entouraient depuis toujours. Les usines s’arrêtèrent de produire, les voitures de rouler, les avions de voler, et en très peu de temps, l’air devint respirable, de l’avis des plus grands spécialistes scientifiques,  on pouvait écouter la planète respirer. Du jour au lendemain, il n’était plus possible de se rendre à New York en un clic ; ni même de visiter ses amis dans la rue d’à côté. Personne n’était épargné, tous les habitants de cette planète étaient touchés. Jour après jour, chacun réappris à cuisiner, à s’intéresser à son voisin, on inventa des jeux, et des chansons … De nouveaux mots apparaissaient « confinement », « déconfinement », « distanciation sociale »… On ne pouvait plus compter le nombre de fois où ces mots étaient prononcés chaque jour, dans toutes les langues, sur toute la planète. Ce ralentissement soudain est arrivé à un moment différent pour chacun des habitants de la planète. Certains étaient heureux de tout ce temps offert, d’autres souffraient de l’éloignement, ou s’inquiétaient pour leurs proches. Le plus étonnant c’est que tu pouvais éprouver tout cela, d’un instant à l’autre de la journée. Et puis, de nombreux habitants de la planète ont été en danger : ils n’avaient pas de quoi se nourrir, ni même parfois d’endroit où aller pour se protéger. On s’est dit que c’était l’occasion de prendre le temps de lire davantage, l’occasion de s’arrêter, pour penser autrement. Dans cette étape suspendue, on se mit à faire des listes, la liste de nos envies … Mais ça n’était pas si simple. Moi qui habitais cette planète, je peux te raconter. Te dire que pour moi qui ne cessait de courir, j’ai du stopper la course des trains, des trajets en voiture, des RV à droite, à gauche… il m’a fallu du temps pour accepter ce ralentissement. Accepter qu’il avait des effets sur mes émotions et que, sans doute, je ne ferai pas tout ce que j’avais imaginé. Accepter qu’il m’est si difficile de ralentir. Cette histoire n’est pas terminée, nous n’en connaissons pas la fin. Je me prends parfois à l’imaginer… Je rêve que nous puissions nous en souvenir comme d’une extraordinaire opportunité, nous dire que ce fut une chance précieuse pour la planète, et pour ses habitants. Car si les habitants avaient su domestiquer leur planète, un être microscopique a été capable de suspendre leur course. Ce qui semblait impossible aux habitants de cette planète, un être microscopique l’a fait. Mes émotions s’emmêlent, je suis touchée par les élans spontanés de solidarité, Emue par la difficulté que nous avons à prendre cette distance sociale, inquiète pour ceux qui souffrent, consciente du privilège que j’ai de pouvoir, passée la sidération, mettre des mots sur ce que nous vivons. Nous avons appris à vivre ensemble, autrement. A la fin de cette histoire, je formule un vœu pour demain, je souhaite pouvoir à nouveau te serrer dans mes bras, reconnaissante de ce que cet être microscopique nous a appris de bien plus précieux que toutes nos machines … Mais ceci est une autre histoire, je te la raconterai plus tard… Bonne nuit. A demain