[Intimement confinés #20] "Dans ma cabane, sans mes masques". Nathalie Ohana

Savoir lui dire, le podcast - Un podcast de Emilie Soulez

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10 mai 2020. En plein confinement face au COVID19, un texte écrit et lu par Nathalie Ohana. Alors nous y voilà. Je commençais à avoir pris le pli. A avoir vécu sans beaucoup des choses habituelles mais avec des nouvelles amies. Je m'étais recréé un monde. Un monde moins large. Moins vaste évidemment. Petit même on peut dire. Etriqué parfois. Mais ô combien confortable. J'étais sortie de ma zone de confort, j'avais dû apprendre tout de zéro, me forcer à innover, improviser, j’avançais sur un pied, en sautant même parfois. Et puis au fil des pages de mon cahier, au fil des joggings autour de la maison, des cafés à répétition, des cours de yoga jamais terminés, des séances de méditation avortées, finalement je m'étais recréé une autre zone de confort. Une zone dans laquelle on se laisse surprendre par le chant des oiseaux, par un doux rayon de soleil qui caresse le visage, par la vigne qui donne ses premiers grappillons, par les albums de photos qu'on reparcoure, par la visite de mon amie disparue, dans mes rêves ou au saut du lit. Oui, je m’étais construit un nouveau monde comme on se construit une cabane en bois dans le jardin. De bric et de broc. Avec un cageot à la place d'un plumard. Qui laisse passer la pluie et le froid mais qui a l’énorme avantage de ne plus nous confronter au vrai monde. Qui désamorce les peurs. Qui ne laisse entrer que des visages familiers, connus, aimants. Qui donne l'impression qu'on peut vivre toute sa vie dans un entre-soi insolent. Et puis à peine au moment où j'avais de moins en moins de courbatures, où j'avais commencé à d'apprivoiser ce cageot en guise de lit, on m'annonce que ça y est. C'est la fin de l'aventure à la Tom Sawyer. Fini le bivouac. On regagne ses pénates. On rentre dans le dur. On remet nos masques. Pas seulement les masques de protection blanc. Ceux la ne me dérangent pas. Non, je parle d'autres masques. Toutes sortes de masques. Et comme je suis une très bonne comédienne et une improvisatrice de talent, alors je vais me remettre à jouer. A jouer tous les rôles qu'on va me donner. A porter toutes sortes de masques, parfois sans même m'en rendre compte. Et quelque chose me dit qu'avec ces masques, nos peurs vont revenir. Nathalie Ohana