[Intimement confinés #15] "Renaissance". Chloé Lise
Savoir lui dire, le podcast - Un podcast de Emilie Soulez

Catégories:
2 mai 2020. En plein confinement, un texte écrit et lu par Chloé Rouge-Pullon. "Un mois que je suis ici. Une grasse matinée par jour, je sors deux œufs du frigo pour les faire au plat, prend une assiette et des couverts. Le sel, les biscottes au beurre et une boisson chaude. Il est midi ou treize heures, je prends une douche me lave les cheveux un jour sur trois ou quatre, comme j’aurais fait avant. Ce qui a changé, je passe la journée en culotte et en crocs, la majeure partie du temps dans le jardin. Sous un soleil fidèle, qui caramélise ma peau un peu plus tous les jours. La pluie semble ne plus exister. Je coupe des branches, tonds la pelouse, taille les arbres, je philosophe avec l’écorce. Je prends le soleil, et le temps. Et des photos. L’allure de ma future entreprise si précise dans mon esprit il y a quelques mois, semble changer de couleurs. Il y a aura des nuances, des ajustements c’est sûr, peut-être même bien plus. ` Avec ce nouveau monde sur le pas de notre porte, rien n’est plus sûr et c’est tant mieux. Les oiseaux chantent, les insectes passent de fleur en fleur, et les pièces d’un puzzle que je ne connaissais pas, s’assemblent discrètement. Je regarde les boutons des roses s’ouvrir, j’arrose, j’écris, je lis, je relie, je m’émeus, et parfois j’appréhende le retour chez moi à Paris. Je n’en veux pas ou plus, je capte le piège, l’enfermement dans lequel je vivais, étriquée, entre tous ces gens bruyants, ces egos, ces peurs, ces courses et ces plaques de béton et tout ça, sans m’en apercevoir. Depuis un mois, je découvre la dépendance affective non plus sous son aspect conceptuel non, sous toutes ses facettes, la vie me teste. Elle utilise mon premier amour, le voisin, mon soi-disant frère d’âme, ma sœur Ingrid, mon ex Ludovic, mon père et mon mec, les membres de mon asso. Je vois comment se tissent l’hypersensibilité, le manque d’autonomie, la peur panique des process et des modes d’emplois en tous genres. Depuis un mois, je peins et colle tout en couleur, ou tout en sombre, pour faire sortir les ombres. Depuis un mois, je découvre comment ma vision de l’amour idéal diffère de ma vision du couple commun, et encore davantage de celle que je vis aujourd’hui. Je travaille à les aligner. J’ai trouvé mon couple « Expander ». Ça veut dire qui représente THE couple de la mort qui tue pour moi. Je l’ai trouvé sur Netflix, Claire et Jamie Frazer forment le couple héro de la série Outlander. Ils représentent mon couple idéal, même si bien sûr je ferais moins la maligne si j’étais catapulté en 1748 en Ecosse. Aujourd’hui, je me couvrirai un peu plus, le ciel est nuageux. Les tourterelles le coq et autres pioupious, sont toujours au rendez-vous. Je porte la marinière de maman dont j’ai fait disparaître les tâches. Depuis un mois, j’éclaire un peu plus mon profil de neuroatypique. J’en découvre les recoins, les limites et les forces, et œuvre à les rapprocher pour les fondre. Hier, je suis sortie avec mon attestation, pour tenter de me procurer des plants pour le potager. Mais il y avait la queue jusque dehors. J’ai été contrôlée par la police sur le retour. Cet homme m’a demandé mon attestation et ma pièce d’identité. Il a été charmant, je suis repartie après quelques échanges sympathiques. D’autres n’ont pas la chance d’avoir ma couleur de peau. D’autres n’ont pas le type qui va bien, les cheveux blonds et les yeux clairs. D’autres sont jetés au sol et insultés pour aucune raison dans le 93. Moi je vis mon confinement dans cette jolie maison, dans un village de riches. Je crois que nous choisissons nos combats, avant de choisir précisément notre piste d’atterrissage, et le corps à travers lequel nous allons les livrer."